Lo cant dal pòble audenc
Durant les années 2000, j’ai sillonné le département de l’Aude, muni d’un enregistreur, en demandant à ses habitants de me chanter leurs plus anciens souvenirs de chansons.
Au début, la question en a dérouté plus d'un, et je suis rentré quelquefois bredouille. Alors, il m’a fallu affiner mes questions au fil des entretiens : qu’est-ce qu’il se chantait au village lors des fêtes traditionnelles ? Que chantiez-vous pour Carnaval, pour la Saint-Jean, pour la fête locale d’été ? Que chantiez-vous pour la messe de minuit à Noël ? À partir de là, nous avons pu aller vers des questions plus intimes : que vous chantait votre mère, votre grand-mère ?
Alors, les gens se sont pris au jeu, et les langues se sont déliées. La mémoire enfouie est remontée à la surface, parfois vivifiée, parfois fragmentaire, les gens ne se souvenant que de bribes de chant. Ils se sont mis à chercher dans leur souvenir, ceux de leur famille et de leurs anciens pour essayer de retrouver avec eux le couplet manquant, afin que je puisse repartir de leur village avec la chanson complète.
Cinq ans de rencontres riches en émotions, pour arriver à dresser un état des lieux de la mémoire chantée des pays audois. Car telle était la question : dans ce pays où l’on ne chante plus, que sommes-nous en train de perdre ? Qu’est-ce qui reliait les gens avant que ne s’arrête cette pratique vieille comme l’humanité, cette façon unique de vibrer en se racontant collectivement ?
J’ai ainsi recueilli quelques 600 chansons en langue Occitane, parfois complètes, souvent pleines de trous de mémoire comme peuvent l’être les souvenirs. Chants de travail, d’amour ou de misère, chansons de circonstance, de fête ou de révolte, toutes me furent chantées dans un magnifique effort de mémoire collective, lors de 70 veillées et de nombreux entretiens personnels.
Mais la mémoire étant ce quelle est, fugace et défaillante dès qu’on ne l’entretient plus, elle se fragmente et des pans entiers ne remontent pas à la surface. Comme il s’agit d’une mémoire collective, de chansons anciennement connues par des grands groupes de gens, par famille, par village, par pays ou sur tous les pays audois, il a suffit d’un peu de persévérance pour recueillir plusieurs fragments de chaque chants et finalement pouvoir entreprendre un travail de reconstitution de longue haleine.
20 ans plus tard, le répertoire a été reconstitué, à force de travail de recoupage et de recherche. J’ai décidé de retourner dans les villages où ont eu lieu ces veillées, pour redonner aux gens ce trésor de chansons qu’ils m’ont généreusement confiés. Le temps a passé, des gens sont morts, d’autres sont partis vivre ailleurs, d’autres ont grandi, d’autres sont arrivés pour s’installer et beaucoup sont toujours là. Ils pourront entendre les enregistrements où chacun pourra se reconnaître, mais aussi découvrir les chants reconstitués. Je leur raconterai cette aventure, cette quête, riche en humanité et je chanterai… puisque depuis trente ans, je n’ai pas trouvé d’autre façon pour aller vers les gens.